Télétravail, blues et prison dorée

Il y a encore quelques mois (cela me paraît presque être dans une autre vie), j’avais un jour de télétravail par semaine. Un jour fixe. Le mardi. Parce que ça permet de commencer la semaine en douceur et de ne pas courir pour accompagner les Girls à la piscine après 17h. Mon petit mardi à moi. Une journée qui me permettait aussi et avant tout de me concentrer sur des projets de réflexion ou de création, sur des articles de fond à écrire ou sur des présentations à préparer. Une journée à laquelle ma tête et mon corps aspirait chaque semaine, comme une petite bulle d’oxygène, une parenthèse nécessaire dans une semaine généralement bien chargée.

Mais la parenthèse est devenue un chapitre entier. La bulle a éclaté

Elle n’en est plus une. Elle avait déjà éclaté en mars-avril-mai, c’est vrai. Mais il y avait des tas de petites bulles pour la remplacer, ces journées qui s’allongeaient, ce soleil qui brillait et ces pauses au jardin qui rechargeaient les batteries. Les écoles étaient fermées, la double casquette de maman et télétravailleuse était parfois dure à gérer. Et pourtant, ça me parait bien plus difficile aujourd’hui…

Depuis plus d’un mois, ma bulle d’oxygène est devenue une prison dorée

Ma maison est devenue mon bureau ; ou est-ce mon bureau qui est devenu ma maison ? Honnêtement, je ne sais plus. La frontière n’est pas claire, elle se brouille de plus en plus. Et les perspectives de retour au bureau, le vrai, celui de Bruxelles, me paraissent tellement loin.

Mon mardi est devenu mon lundi, mon mercredi, mon jeudi et mon vendredi

Et quand c’est fini, on recommence. Les journées raccourcissent, mais paradoxalement, elles sont de plus en plus longues. L’ordinateur est sur la table du séjour. Il suffit de l’allumer dès qu’on descend les escaliers. D’entrer le mot de passe avant même de mettre la table du petit déjeuner. De répondre à deux ou trois e-mails avant d’aller conduire les filles à l’école. Bien souvent le seul moment de la journée où je sors de ma cage dorée.

Il est là, encore, pendant la pause de midi. « Combien de mails sont arrivés pendant que je coupais les légumes ? Je vais vite vérifier le temps que la soupe refroidisse. Combien alors ? 10, déjà ? Dont un de la big boss, deux du responsable marketing. Et un estampillé ‘Urgent’… Bon je vais les traiter directement ». Quand c’est fait, il est déjà 13h50, la soupe est tiède et la prochaine réunion vidéo Teams débute dans 10 minutes. La pause midi, j’en ferai vraiment une demain. Ou après-demain.

L’ordinateur est toujours là quand les filles rentrent de l’école. Les e-mails arrivent aussi quand vient le moment de préparer le repas du soir ou de superviser les devoirs. Le boulot est à la maison et la maison est remplie des préoccupations du boulot.

Avec le télétravail à 100 %, on perd une grande partie de tout ce qui fait le charme et le plaisir du travail. Les collègues, les discussions, les moments informels et ce qu’on appelle si justement la « culture » d’entreprise !

A la maison, le café est certes meilleur qu’au bureau, mais au fil des jours, il n’a plus de saveur. Il est avalé en 2 minutes, toujours devant l’écran. Là où il était pris avec plaisir à la machine à café ou à la kitchenette, avec un, deux ou cinq collègues. Il représentait une vraie pause, et permettait bien souvent d’engager des discussions nécessaires ou des brainstormings inattendus mais créatifs ! Ce petit moment informel n’existe plus.

Le télétravail à 100 % depuis plusieurs semaines entraîne chez moi une perte de repères et de sens, mais aussi une perte sociale qui commence à faire des dégâts. Je suis quelqu’un de sociable, je ne suis décidément pas faite pour travailler seule. Je suis une collaboratrice au sens le plus pur du terme. J’ai besoin de collaborer et de discuter pour m’enthousiasmer, pour évoluer et pour délivrer !

Le mauvais café de la machine à café me manque.

Les chaises ergonomiques et colorées me manquent.

Le lunch au mess avec les collègues me manque.

Le re-coiffage vite fait dans l’ascenseur me manque.

Les trajets en train du matin et du soir, mes « sas de décompression » si nécessaires pour faire le trait d’union entre ma vie de collaboratrice et ma vie de maman, me manquent.

Les contacts humains me manquent.

Je n’ai pas écrit cet article aujourd’hui pour qu’on me plaigne ou qu’on me dise qu’il y a pire. J’en suis consciente. Je sais que c’est pour la bonne cause, que si on est obligés de travailler chez soi, c’est pour se protéger, protéger les autres et faire descendre cette foutue courbe Covid-19. Je ne devrais pas me plaindre. Je pourrais être hospitalisée aux soins intensifs, ou y travailler. Avoir perdu un proche ou mon job. Je le sais et je le mesure. Alors, je relativise. Il y a pire et il y aura une fin à tout ça.

En attendant, je continue à « mordre sur ma chique », comme on dit chez nous. J’arrête de ressasser et je bosse du mieux que je peux, je me focalise sur les projets motivants et les belles réussites professionnelles de ces derniers mois, dans des conditions pas faciles. En espérant pouvoir les fêter très vite en « présentiel » avec mes collègues. Même à distance. Même avec le masque et les mains remplies de gel.

Sérieusement, vous croyez que le télétravail est un avantage ? Jusqu’il y a peu, je le pensais aussi. Mais maintenant, y’en a marre. Ma prison dorée, je l’échange volontiers pour retrouver ma bulle d’oxygène du mardi. Mes collègues. Et même les retards de la SNCB.


12 réflexions sur “Télétravail, blues et prison dorée

  1. Oh je comprends tout à fait…pas avec la même perspective, mais celle que je vois chez mon mari qui bosse encore plus qu’en présentiel… pas facile de trouver le juste milieu. Imposes toi peut-être des pauses, des soupapes, planifie les sur ton emploi du temps…au final c’est un gain de productivité de savoir s’arrêter et repartir mieux chargé d’énergie et de volonté.

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    1. On travaille beaucoup plus qu’en présentiel, c’est un effet « pervers » du système! Oui je vais m’imposer de vraies pauses, même juste pour aller faire le tour du quartier 🏘
      Ça me changera les idées et comme tu dis, j’ai tout à y gagner, aussi pour ma créativité !

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  2. Christian Philippe a tout dit! Mon mari et moi nous battons pour aller chercher notre poulette à l’école, histoire de changer d’air. Heureusement qu’elle est là, sinon ça deviendrait invivable, travail, travail, travail ! La seule chose encore permise.

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  3. Vous arrivez à exprimer tout ce que les télétravailleurs vivent en ce moment.
    Petite anecdote: je suis allée aux urgences récemment suite à un accident de la route pour faire un scanner de la nuque et vérifier que tout allait bien. Résultat correct: rien de grave, juste des contractures, quand même douloureuses dans le haut du corps… Quand j’ai dit au médecin urgentiste que je télétravaillais, elle m’a répondu: « Ha ça va, vous pouvez quand même travailler alors…. » Comme si le fait d’être à la maison pour travailler ne m’autorisait pas à avoir un certificat médical pour me reposer et soulager mes douleurs…. J’ai trouvé ça quasi choquant.

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  4. Encore une fois tu écris si bien cela…à l’inverse je ne suis pas très sociable, et j’ai l’impression que je suis en plein « syndrome de la cabane »…on a un « droit » à un jour de présentiel sur site, je crois que je vais me forcer un peu à partir de la semaine prochaine. Ah et les sas de décompression, j’en parle aussi dans mon dernier article, ça manque tellement… Haut les coeurs comme on dit! 🙂

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  5. Perso je suis pour que cela continue jusque ma retraite, même s’il est vrai que cela prend de la place. C’est un apprentissage que je ne maîtrise pas encore mais pour moi il y a moyen de ne pas laisser le boulot prendre toute la place, apprendre à dire non est mon prochain challenge. Cela va être difficile mais la sérénité et le plaisir du travail sont au bout du chemin. Quant aux conversations avec les collègues, c’est toujours possible via Teams ou Skype mais chacun son truc.

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  6. Merci pour cet article! Il résonne en moi également même si je pense que je le vis un peu mieux. Mon conjoint et moi sommes tous les deux en ce moment en télétravail et on apprécie cette parenthèse. Mais l’automne m’a aussi mis un coup dur. Je trouve les journées longues, sans perspective réelle et je ne vois plus de fin à tout ça… courage à nous 🙂

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    1. Je pense que si mon conjoint avait été aussi en télétravail avec moi, les choses seraient peut-être un peu différentes (quoique, peut-être qu’on se rendrait dingues l’un l’autre !). Là, je le vois continuer sa vie et son boulot à l’extérieur, les enfants aussi. Je suis seule dans ma parenthèse, c’est pas gai… Mais il y a pire ! Et il y aura une fin à tout ça, même si la vie ne sera probablement plus tout à fait la même. Merci pour ton message !

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  7. Impossible de mieux décrire la situation que nous vivons… Merci pour cet article (que j’ai partagé avec mes collègues), je me sens moins seule dans ma « déprime » et mon manque d’espace « rien qu’à moi » et, tout comme vous, j’en fini par regretter les (immenses) retard de la SNCB….

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